On est souvent frappé par la qualité et la quantité d'œuvres, en particulier picturales, créées par l'école française de la fin du 19ème siècle et le début du 20ème.
La cause me semble être la demande considérable de la classe moyenne nouvelle, issue de la lente révolution industrielle française et qui cherchait, encore et toujours, à imiter les modèles de réussite sociale issus de la défunte aristocratie. L'idéal français, au fond, était de réussir à devenir rentier, de consacrer sa vie aux arts et aux autres plaisirs, quand nos voisins anglais, hollandais ou plus tard allemands réinvestissaient leurs surplus de production dans l'industrie.
Ce ne sont donc pas, comme aux USA de grandes collections d'œuvres d'art du passé qui ont été constituées par des hommes fortunés, mais, selon le modèle aristocratique, des achats par des hommes ayant un goût propre et non celui de l'histoire, d'œuvres contemporaines, à des artistes vivants, et à relativement bas prix. Ainsi ces artistes ont reçu un soutien considérable, leur permettant de croître et multiplier, en même temps qu'ils recevaient de ces acheteurs 'éclairés' (et des marchands parfois inspirés qui les accompagnaient) une appréciation et une orientation de leurs choix artistiques, tout en les laissant libres d'en proposer de nouveaux. En résumé, impressionnisme et fauvisme seraient les heureux résultats de la rente...
De même, on s'émerveille parfois, à mon avis bien naïvement, de la foi qui a été nécessaire pour construire les cathédrales. Elles ne sont qu'accessoirement le produit de la foi, mais elles sont surtout celui d'architectes mandatés par des hommes prodigieusement riches, cultivés et ambitieux et qui n'avaient pas d'autre emploi à leurs fortunes que des dépenses somptuaires. Il s'agit bien sûr du haut clergé qui au 12ème et 13ème siècle a bénéficié d'un système fiscal de concentration de richesse extraordinairement favorable dans une époque qui vivait une première révolution de la productivité. Le 14ème siècle sera beaucoup moins spectaculaire...
La musique fournit un autre exemple, en Italie et en Allemagne au 17ème et 18ème siècle. La concentration de richesse vers les duchés et autres principautés leur a donné les moyens d'un mécénat exercé librement parfois même tyranniquement par des hommes de culture et de goût, créant ainsi la base diversifiée, voire foisonnante, de la culture musicale de ces pays. Cela a cruellement manqué à la France royale, centralisée et guerrière, manque compensé partiellement par le mécénat religieux de la contre-réforme, mais qui marque malgré tout la fin, avec l'instauration du mécène unique, de la position française en matière de musique.
Peut-on espérer que les actuels ministères de la culture et autres responsables culturels remplacent ces mécénats ? Sans doute non, en raison de leur finalité de culture de masse, par essence un peu démagogique, et où le goût et la compétence souvent grande des responsables n'a pas facilement la liberté de faire valoir ses choix. Qu'ils apportent aux artistes une aide est certain ; mais leur refus de choisir, le non exercice souvent revendiqué de leur goût et l'unicité du mécène "officiel" n'aident pas l'artiste à trouver ses marques. Sans un mécénat multiple et exigeant, je doute que l'art puisse naître, au delà d'un aimable produit de consommation.