Des nationalités ? Oui, mais au moins deux !

Après deux générations de construction par la réglementation, L'Europe se bloque. Faut-il la débloquer, et peut-on le faire ? La réponse est sans doute "oui", mais les méthodes devront être nouvelles. La double nationalité paraît une piste à suivre.

Souhaite-t-on encore que l'Europe, riche de rêves et d'espoirs, soit un jour plus qu'un outil économique ? Un outil certes utile, mais qui semble trouver ses limites : une croissance faible, un chômage élevé, des barrières sociales et fiscales encore considérables aux échanges, un euro sans vision politique dont il faudra bien reconnaître un jour qu'il est un échec.

Les citoyens doutent : comme les Pays-Bas et la France ils refusent cette Europe du papier qui ne les fait plus rêver et ne les représente pas. Et, si l'on avait posé la question à chacun, bien des citoyens des autres nations européennes auraient sans doute exprimé la même déception et leur manque de confiance.

Nul ne sait si cette situation peut être inversée et si l'espoir peut revenir. Nul ne dit non plus clairement si elle doit être redressée sur les chemins actuels où elle est enlisée. Le doute est là : ce qui n'a pas été fait en 50 ans (2 générations !) n'excède-t-il pas la portée humaine ? Ne vaudrait-il pas mieux convenir que le chemin pris est une impasse ? Messieurs les politiques, candidats et autres, à vos claviers.

Il semble en revanche que subsistent des attentes profondes chez les citoyens des nations d'Europe. Par exemple : Nous partageons une histoire qui nous lie profondément ; Nous sommes le berceau du savoir, en particulier scientifique et le monde (celui qui pèse) a intégré, plus ou moins bien, nos valeurs à sa culture. Les pays qui ne l'ont pas fait sont misérables, fanatiques, révoltés. Nous avons réussi, en dépit de notre recours fréquent à la violence, à construire une civilisation plus humaine que bien d'autres, fondée sur la liberté, le partage et assise sur une puissance économique encore considérable. Nul ne peut nous frapper sans risquer d'être anéanti. Notre histoire prouve que nous savons cogner si nécessaire. Nous sommes capables, en dépit de l'échec européen actuel, de mettre en place des institutions qui fonctionnent et respectent nos valeurs. La Grande-Bretagne a été et reste, dans ce domaine, un modèle. Dans de nombreux secteurs, nos réalisations sont au premier rang mondial (industrie, santé, recherche, éducation, etc.) et se fondent, d'ailleurs, sur notre amour du savoir. N'oublions pas la richesse de notre culture littéraire, artistique et en particulier musicale. Aucune partie du monde n'a su développer comme L'Europe l'a fait, l'art complexe des sons et en particulier de la polyphonie. Ne serait-ce pas un intéressant critère objectif d'entrée dans L'Europe ? Nous partageons les valeurs grecques de curiosité du monde et d'organisation sociale, sachant mettre les dieux à une place modeste, comme une sorte de décor à notre responsabilité. Il me semble, d'ailleurs, sentir comme un frémissement de retour à ces racines profondes. Optimisme ? Nous partageons aussi, bien entendu, une culture chrétienne importée du Moyen-Orient qui se délite aujourd'hui en un individualisme toxique. Mais ce qui nous caractérise est surtout d'avoir su au 17ème siècle prendre vis-à-vis d'elle la distance suffisante pour conférer aux hommes liberté et responsabilité. Une religion du salut individuel ne peut que marginalement contribuer à l'idéal plus exigeant de construire une société. Elle peut même être un obstacle.

En bref, il semble donc que les raisons pour continuer à tenter de bâtir L'Europe sont toujours là, aussi fortes. C'est la voie réglementaire choisie qui sonne faux, pas l'idée.

Nombreux sont conscients aujourd'hui qu'il faut se remettre au travail, mais autrement.

Alors, je ferai une proposition à intégrer dans un ensemble à déterminer : un développement massif de la double nationalité intra-européenne, très fortement encouragée à l'âge de la majorité, mais choisie librement. Elle serait assortie d'obligations vis-à-vis du pays choisi, par exemple une exigence en matière de langue écrite et parlée, de longs séjours actifs, de la connaissance de la culture de base, etc. Tout cela pourrait être préparé au cours de la scolarité obligatoire. C'est, au fond, un mariage des nations qui est proposé ici, un engagement plus affectif en tout cas des citoyens, aujourd'hui simples spectateurs réticents d'un jeu qui ne les concerne que de façon abstraite.

Que cinq pays européens incontestables s'offrent volontairement à l'expérience ! Peut-être, ainsi, feront-ils naître chez leurs citoyens le goût de s'unir plus avant et trouveront-ils là le moyen de faire ce que deux générations de papier n'ont pas réussi.