Sans assurer la prospérité de ceux qu'il dirige, le pouvoir perd sa légitimité, et souvent sa place...

Ce n'est qu'au 19ème siècle que les dirigeants ont pris conscience du poids politique de la gestion économique. Jusque là, se procurer des ressources était une tâche subalterne, hors de la sphère directe de leur pensée. Quant à se préoccuper de la façon dont naît cette richesse, ce souci ne les effleurait pas, dans un monde agricole où la terre et les richesses accumulées représentaient un trésor à partager, et éventuellement à augmenter par la conquête. La prise de conscience que ce trésor pouvait être agrandi presque sans fin par des voies pacifiques de création de biens et de services a été une révolution des esprits, causant l'obsolescence de l'économie fondée sur la terre et de ses modes de raisonnement qui privilégiaient stabilité et partage. Encore que l'esprit des "35 heures" et du partage supposé du travail rappelle fâcheusement ce passé...

Mais pour faire croître cette richesse existe une clé : l'investissement et tout ce qu'il suppose : ne pas consommer tout ce qui est produit, collecter cet excédent, le faire "travailler" en investissant dans des infrastructures, des machines, des équipements. Pas toujours simple comprendre, et toujours difficile et souvent douloureux à mettre en œuvre...

Et pourtant me semble-t-il, la sagesse populaire (aidée par certains penseurs) était en avance sur ses dirigeants (les nobles et le roi), pressentant dès le 18ème siècle que ceux-ci perdaient leur légitimité en méconnaissant ces mécanismes de création de richesse. Un évident succès se faisait voir en Angleterre et plus tôt encore en Hollande où depuis le 17ème siècle, se créait une classe moyenne qui fut assez forte pour chasser l'Espagnol prédateur, guerrier, bigot et improductif.

En effet, quoi de plus terrien qu'un noble ? Son nom, sa tradition, ses ancêtres, ses biens sont solidement attachés à la terre. Son monde idéal est stable, hiérarchisé, en ordre, bien partagé. Or ce monde là refuse (ignore au moins et en tous cas ne souhaite pas) l'instabilité du risque de l'investissement, aidé en cela par un mépris très moral mais parfaitement inefficace de l'argent. La révolution française n'a au fond rien fait d'autre que chasser des dirigeants incapables. Et je me plais à imaginer que si cette classe de nobles, par miracle ou intelligence, elle qui collectait les excédents économiques à usage de guerres et de prestige, avait basculé en faveur de l'investissement productif, elle serait, aujourd'hui encore, aux commandes.

Cela revient à dire qu'est légitime un dirigeant qui met la politique au service d'abord de la prospérité. Les communistes ont cessé de l'être par ce qu'ils l'avaient oublié. Malgré l'horreur qu'il annoncait dans ses écrits, Hitler a été légitime dans la première phase de son règne en rétablissant la prospérité ; mais il ne devait pas le savoir... Et si les colonies avaient eu pour but la prospérité de tous au lieu de la prédation, le monde serait plein de Martiniques et de Tahitis et l'Afrique serait un peu moins mal partie.

Je ne prétends pas que les idées et leur mouvement ne jouent aucun rôle. Elles n'ont tout simplement pas le rôle prioritaire que l'on admet souvent, par ce que c'est politiquement correct de penser ainsi. Elles accompagnent, mettent en forme, théorisent le mouvement de l'histoire, qui lui, en revanche, est déterminé par la recherche de la prospérité collective comme l'eau suit la ligne de plus grande pente du terrain où elle coule.

La perte de légitimité du dirigeant se produit lorsqu'il n'optimise pas cette prospérité. Même important, le reste y est subordonné.