Aborder la pensée de MH oblige à considérer l'existence de l' « Être » comme un donné, caché derrière l' « Étant », qu'il convient de rechercher, de dévoiler, de laisser-être. Qu'est ce qui fonde cette recherche ? Quel en a été le succès ?

Pourquoi MH fait-il cette hypothèse qu'un « Être » existe ? Quel est l'assise de cette recherche et quel espoir fait-elle naître ? Et pourquoi rechercher l' « Être » et pas dieu, le point oméga, le marxisme ou n'importe quoi ? L'histoire est pleine de ces spéculations, pas toujours fécondes.

Car, que puis-je connaître d'autre que ce que mes sens me donnent à connaître et que mon esprit (outil de chair encore mal décodé) me permet de combiner, de rapprocher, de figurer de projeter ? Poser le mot « Être » ne lui donne pas plus de réalité ni d'existence à priori que poser « équation différentielle », « théorie SU3 » ou « dieu ». C'est l'usage et le succès opératoire du concept qui en fera ou non la valeur.

De plus, dans l'univers que je connais, 1+1 ne fait pas 2 ; plus exactement, je n'en sais rien. Ce qu'en revanche je sais, c'est que si mon esprit construit cette hypothèse conceptuelle et l'utilise dans sa compréhension du monde, il en tire avantage et puissance : le concept est devenu opératoire. Soyons précis sur ce point critique : l'univers ne contient aucune loi que l'homme viendrait à dévoiler. C'est l'homme qui projette dans son esprit ce qu'il perçoit du monde, et le combine (1+1=2) pour en faire ces lois de la physique (ou des autres sciences), lois dont l'existence est propre à l'espèce et qu'un seul membre de cette espèce peut invalider, s'il y trouve une incohérence. Mais rien ne permet de dire que ces lois ont la moindre réalité au delà de cette représentation du monde par l'homme et pour l'homme. C'est déjà pas mal et tout à l'honneur de notre humanité d'en être arrivé là !

Pour en revenir à la démarche de MH, j'ai l'intuition qu'il a au fond tenté d'établir entre l'être et l'étant un rapport analogue à celui qui existe entre la ma thématique et le phénomène physique qu'elle rend, pour l'homme (et lui seul, mon chat me l'a confirmé), accessible, calculable, compréhensible et transforme ainsi un bouquet de faits dispersées en ce que E. Jünger appelait « non seulement une véritable langue universelle, mais la seule ». La nouveauté est alors la tentative d'élargissement du champ de la physique à celui de tout l'univers.

Dans cette vision, l' « Être » n'est donc plus un donné qui se dévoile, pas plus que la mathématique, mais une construction humaine, un outil. Il n'y a alors d'existence de l' « Être » que comme un tentative d'apprivoisement de l'étant, par l'homme et lui seul et pour l'homme et lui seul et dont la pertinence doit être confirmée.

Pour cela il faut un langage, une parole, que MH semble avoir cherchés toute sa vie. Il évoque d'ailleurs cette idée lorsqu'il nomme la langue « la maison de l'être » (cité par J. Beaufret), comme la mathématique pourrait être la maison des phénomènes physiques.

Mais si on accepte un instant cette idée que MH,conscient ou non de le faire, a plaqué sa manière de penser sur le moule de la méthode scientifique, en aura-t-il eu la fécondité ? Lorsqu'en physique mathématique une théorie entraîne des propositions qui ne résistent pas à l'expérience, ou ne réussissent pas à en faire que l'expérience confirme, elle est écartée. Ou bien MH n'a pas pu faire aboutir sa théorie ontologique, ou bien s'il y est arrivé, elle ne l'aura en rien éclairé sur son temps. Que faut-il conclure ? Rien de bien encourageant, me semble-t-il.

Au fond, MH n'aurait-il pas été fasciné par la fécondité de la méthode scientifique, comme Spinoza dans l' « Éthique » ? On comprend mieux sa relation d'amour-haine avec la technique si l'on accepte cette thèse. Son esprit avait sans aucun doute perçu la puissance de cette méthode ; mais sans doute aussi avait-il perçu qu'il ne réussissait pas, en s'en inspirant, à établir réellement l' « Être » comme une représentation humaine opératoire de l'étant. Ses propositions sur la menace que ferait peser la technique ne seraient-elles pas, ainsi, un peu empreintes de dépit ?