Humanisme, la forme humaine de la liberté
Il n'est pas toujours facile de se sentir bien au coeur de son espèce, au point que certains préfèrent leur chien à leurs congénères. Voie sans issue à long terme, car c'est bien sur sa capacité à survivre, au long des siècles, qu'une espèce vivante, humaine ou autre, peut être jugée. Le diplodocus n'a plus la faculté de se poser la question ; nous, si.
Lorsque mon chat ronronne quand il m'approche, il attend quelque chose d'agréable, à manger, par exemple. Mais il construit en même temps une alliance utile à son espèce.
Lorsque je vois les fanatiques de l'islam dévoyé faire une guerre qui les détruit autant qu'ils détruisent, je sais qu'ils jouent contre leurs intérêts propres, mais aussi contre l'espèce.
Dans les deux cas, cependant, mais à des degrés très différents, ce qui a été à un moment en cause fut un choix, un usage précis de la liberté. Cette liberté était modeste, mais réelle pour mon chat (il n'était pas absolument contraint) ; elle était immense et profonde dans l'autre cas.
C'est bien là ce qui, à mon sens, caractérise notre espèce : l'ampleur de sa liberté, conséquence du développement cérébral de l'homme. Je ne crois pas que les autres formes de vie soient des « objets de nature », totalement conditionnés, comme le pensait Rousseau, Kant, ou même Sartre. Mais, leur liberté n'a pas cette marge d'action qui caractérise notre espèce qui, en en faisant usage, a su aller de la pierre taillée au GPS et d'une espérance de vie de 30 ans à plus de 70 ans aujourd'hui.
Lorsqu'on prend conscience que l'usage de notre liberté nous identifie et nous caractérise comme « hommes », alors se pose aussitôt la question de ce qui guide nos choix, nos actes, au sein de cette liberté. C'est, bien entendu, ces choix qui, en fin de compte, feront la valeur de nos existences, car ils sont la réalisation de nos intentions, de nos projets. Mais au fait, devant quel juge s'appréciera cette valeur ?
Le seul juge que je connaisse est le temps, qui transcende l'existence de chaque individu par celle de son espèce. Un temps qui conserve l'empreinte de nos actes dans la matière du monde, bonne et mauvaise, pour en faire la trame de l'espèce. Au-delà existent fantasmes et espérances, mais rien d'aussi universel. Les cimetières sont pleins de dieux morts et oubliés et de lois dont les tables se sont brisées. C'est pourquoi, au passage, je refuse toutes les religions, divines ou terrestres.
Cette liberté et son usage seraient donc, au fond, encadrés par la perspective de développement harmonieux de l'espèce. Soins et amour des parents pour leurs petits, recherche et entretien du partenaire sexuel, défense des intérêts du cercle de vie, etc., voilà qui caractérise tout ce qui vit, certes, mais qui chez l'homme lui permet de donner un sens et un contenu à cette immense liberté qui le caractérise.
L'humanisme, pour moi, c'est cela : donner un sens, une forme, à cette liberté. C'est refuser les principes et les dogmes sans avoir soumis leurs propositions à notre jugement, cas par cas, acte par acte, en fonction de notre compréhension propre des situations, de notre expérience et de notre savoir. C'est marcher sur le fil, fragile et incertain, de ce qui est juste.
Nos choix et ce qui les guide, nos principes moraux, vont donc, dans ce cadre humaniste de l'espèce, rester souples, adaptables ; ils resteront en même temps fragiles et incertains. Chaque geste les met à l'épreuve : c'est la grandeur humaniste de la liberté.