Oh, Platon, quel mal nous as-tu fait en nous faisant croire que nous pouvions (devions ?) être autre chose que ce que nous sommes !
Dans sa forme fanatique, religieuse ou politique, cette illusion est à l'origine de nos totalitarismes. Au moins, l'ennemi se montre-t-il dans ces cas-là. Derrière "l'homme nouveau" il y a toujours un goulag. C'est clair.
Ce qui l'est moins, tout en étant pourtant fort pernicieux, c'est la forme civile, éthique, idéaliste, de cette illusion. Se construisent alors des lois, des jurisprudences, des comportements non pas construits sur l'homme réel, parfois sage, parfois truand, mais sur un homme idéal, amoureux de la vertu. Et pour en faciliter l'avènement, éducation, catéchisme, prévention, incitation, etc., se bousculent à grands frais... jusqu'à ce que le rêve se dissipe et que, dans les histoires qui finissent bien, des règles simples soient mises en place.
Un exemple ? Que n'a-t-on pas dépensé pour éduquer le conducteur automobile ? Sans influence sur la course croissante des accidents et de leurs drames. Il a suffi de quelques mesures simples et de bon sens pour inverser cette tendance mortifère : ceinture de sécurité, alcool, conception des voitures, vitesses limites. Et même si le conducteur ne devient pas l'idéal rêvé, la route, elle, redevient plus fréquentable.
En face de cette réussite (et il y en a d'autres) combien d'échecs coûteux, parfois révoltants. Je citerai un cas patent : l'Etat consacre 500 euros par jour pour faire un homme nouveau de multirécidivistes de crimes sexuels. Quelle injure à ceux qui gagnent le SMIC !
Mais prenons un autre exemple, qui nous concerne tous et a suscité cette note : la faillite grecque dans l'Euro. Elle nous concerne parce que nous allons la payer par nos impôts.
L'Allemagne n'avait accepté d'entrer dans l'Euro qu'en échange d'une régulation stricte qui devait faire de chaque pays participant un véritable allemand idéal et de l'Euro un successeur du DM : Banque Centrale indépendante des Etats, déficits budgétaires limités, endettement faible et plafonné. La main sur le coeur, ces contraintes ont été acceptées (mais sans règle pénalisante en cas de dérapage) : oui, nous allons tous devenir des hommes nouveaux, non, des allemands nouveaux ! Il est vrai que ça rapporte ! Non pas à l'économie que ça détruit (voir "Il faut sortir de l'Euro"), mais aux systèmes financiers et aux banques.
En effet, les promesses d'équilibre ayant été mises au placard dès le lendemain,les déficits sont repartis. Pour des raisons simples :
- Il n'y a aucun risque à être laxiste, comme la Grèce vaut de le prouver : il n'y a pas de sanction. La Grèce recevant son aide, avant d'avoir prouvé quoi que ce soit, elle ne tiendra pas ses promesses. Le peuple ne le veut pas et il y aura une révolte. Et l'aide sera perdue.
- Le déficit donne à un gouvernement la paix sociale et l'illusion de la prospérité, sans en supporter les conséquences qu'il repasse à ses successeurs (les USA viennent de le vivre avec les "subprimes").
- Les banques sont ravies. Ce sont elles qui financent à grand profit (ce sont des dettes à risque, voyons !) ces Etats incapables d'équilibre. Mais surtout, elles ne risquent rien ! Double sécurité : on ne laissera pas tomber les Etats et leurs dettes et on ne laissera pas tomber non plus ces banques énormes au cas où la dette serait insolvable contre toute attente. On vient de le prouver avec la crise payée à grands frais non par ceux qui l'ont provoquée, mais par vous et moi.
Voilà où conduit l'illusion, ici de l'Euro, dont l'hypothèse sous-jacente était l'espoir (pour moi, l'illusion) que les pays de la zone "Club Med" allaient s'aligner sur le comportement idéal économique du bon Euro-péen, en un mot, qu'ils pouvaient être autre chose que ce qu'ils sont.
Si l'Allemagne n'avait pas été déjà aussi engagée en Grèce, elle aurait sans doute quitté la zone Euro. Mais, en dépit de ses remarques acerbes, mais fondées, elle a préféré faire assurer par l'Europe le remboursement de ses créances pourries grecques. Je pense que :
- Elle va se dégager financièrement des autres créances pourries du même type.
- Et qu'elle qui quittera alors l'Euro dès qu'elle le pourra. Le comportement prévisible de la Grèce lui en donnera l'occasion.
Je suis convaincu qu'une autre solution aurait mis devant leurs responsabilités, à la fois les pays indisciplinés de la zone Euro (dont la France fait d'ailleurs partie), et les banques coupables de les avoir financés parce qu'elles pensaient ne rien risquer :
- Laisser la Grèce déclarer sa faillite.
- La laisser négocier ses créances avec ses banques généreuses qui y auraient perdu des plumes et gagné une leçon.
- L'exclure de l'Euro (non de l'Europe ! ) pour non-respect ses engagements.
- La laisser recréer sa monnaie qu'elle aurait pu réaligner à un juste niveau, donnant ainsi une chance à ce qui reste de son industrie.
C'aurait été un service rendu à l'Espagne au Portugal, à l'Italie et.... à la France.