Slate 10/05/2012 par Matthew Yglesias
L'Espagne est dans la crise jusqu’au cou. Son taux de chômage (24,4%) est plus élevé que celui des Etats-Unis au pire de la crise de 1929 et, cette fois-ci, aucun New Deal n’est prévu pour renverser le cours des choses. La longue malédiction du chômage de masse va dégrader les compétences des travailleurs et empêcher les jeunes d’acquérir de l’expérience.
Les Espagnols les plus compétents et audacieux vont émigrer à l’étranger et les sociétés espagnoles vont (en toute logique) cesser d’investir dans l’amélioration de la productivité de leurs employés. Cette sombre perspective va décourager les investisseurs et le gouvernement espagnol, à court d’euros, va alors s’embarquer dans une nouvelle vague de hausses d’impôts et de réductions de budgets, ce qui va encore affaiblir un peu plus l’économie nationale. En plein essor il y a quelques années encore, l’Espagne semble aujourd’hui courir à sa perte.
La leçon argentine
Il existe peut-être toutefois une solution pour sortir de cette crise, comme nous le laisse penser l’expérience récente de l’Argentine, pays qui connaît le plein emploi à l’heure actuelle.
L’Espagne et l’Argentine font face à des problèmes similaires. Toutes deux anciennes dictatures, elles sont réputées pour leur climat agréable, leur cuisine savoureuse, leur population sympathique, leur mauvaise gestion macroéconomique et leur faible productivité. Et après s’être débattus quelque temps avec leurs problèmes, les deux pays ont trouvé une solution similaire: externaliser leur gestion macroéconomique.
La stratégie de l’Argentine a été celle du taux de change fixe: un engagement ferme, inscrit dans la loi, à toujours changer le peso argentin à un taux fixe avec le dollar américain. Celle de l’Espagne a été d’adopter l’euro: techniquement parlant, c’est un projet commun de tous les Etats membres, mais, de l’avis général, il s’agit plutôt d’un moyen pour les pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal de souscrire à une gestion macroéconomique à l’allemande.
Comme pour souligner ce point, la Banque centrale européenne a d’ailleurs été installée à Francfort, où se trouve déjà la Bundesbank, plutôt qu’à Bruxelles, la capitale européenne.
Dans les deux cas, cela a marché. Pourtant, ni le taux de change fixe en Argentine ni l’union monétaire en Espagne n’ont changé la structure de base de ces économies un peu faibles. Leurs bases industrielles sont restées de deuxième ordre et les services n’ont pas été plus efficaces.
Tout va bien, puis, en 2001...
Mais il faut croire qu’une stabilité monétaire basique, un climat propice et une culture européenne accessible peuvent faire beaucoup. Les unions monétaires ont entraîné un boom des investissements, faisant grimper l’emploi et les salaires à mesure que les capitaux étrangers affluaient.
Cependant, en 2001, le rouage de l’économie mondiale s’est grippé. Et l’Argentine a déchanté. Des risques cachés sans rapport sont apparus ailleurs dans le paysage de l’investissement mondial et tout le monde est devenu nerveux.
Les capitaux étrangers ont commencé à délaisser l’Argentine, réduisant l’investissement, l’emploi et les revenus. Cela a réduit à son tour les recettes fiscales du gouvernement argentin et encouragé une politique de stricte consolidation budgétaire. Mais les hausses d’impôts et les réductions de dépenses n’ont fait qu’affaiblir un peu plus la demande intérieure et exacerber la crise sociale.
En décembre 2001, la crise a atteint son paroxysme. Le FMI a refusé de transférer les fonds d’un prêt préalablement consenti au prétexte que l’Argentine ne respectait pas ses engagements en matière budgétaire. S’en est suivi une période de manifestations et d’émeutes. Le Président, Fernando de la Rua, a vu sa cote de popularité s’effondrer au point de démissionner. Puis l’Argentine a cessé de rembourser sa dette extérieure, mis fin au lien rigide existant entre peso et dollar et est revenue à une politique monétaire indépendante.
Le mirage de l'austérité
Reportez-vous maintenant 10 ans plus tard et vous verrez de nombreuses leçons à tirer de l’expérience argentine. Coupé des marchés financiers internationaux, le gouvernement n’a eu d’autre choix que de vivre sur ses propres moyens. Avec l’effondrement du cours de leur monnaie, les ménages argentins n’ont pu que délaisser les produits d’importation pour dépenser leur argent dans des biens ou services produits localement. D’un seul coup, l’Argentine est devenue très bon marché pour les étrangers, ce qui a entraîné la hausse des exportations et du tourisme. C’est ainsi que l’austérité est censée fonctionner: la société consomme moins, mais produit plus.
La cessation de paiement et la dévaluation n’ont pas été des solutions miracles. Elles ont détruit le système bancaire du pays et ont balayé les économies de nombreux Argentins. Mais cela a marché. L’Argentine a connu une croissance rapide dans les années qui ont suivi et son taux de chômage est redescendu petit à petit à 6,7%, taux que les Américains envient aujourd’hui.
Mais ce n’est vraiment pas la panacée. L’abandon du taux de change fixe par rapport au dollar n’a fait que renforcer la mauvaise réputation de l’Argentine auprès des investisseurs étrangers. Les gouvernements de Nestor et Cristina Kirchner se sont engagés dans une série de politiques énergétiques discutables et ont donné au pays un air de dynastie népotique. En dépit de tous nos problèmes, les Etats-Unis sont bien plus riches et profitent de meilleures institutions que l’Argentine. Et rien ne vaut de bonnes institutions.
Aussi, quelle leçon peut en tirer l’Espagne? S’aligner sur le dollar a fini par nuire à l’Argentine, tout simplement parce que cela n’a pas transformé l’Argentine en nouvel Etat des Etats-Unis.
De la même manière, l’alignement sur les politiques macroéconomiques faites à Francfort et Berlin n’a pas permis à l’Espagne de profiter des structures fondamentales allemandes. Cela n’a fait qu’encombrer l’Espagne avec des politiques destinées à l’Allemagne.
Et... quitter l'euro?
Une union monétaire n’est pas la même chose qu’un taux de change fixe et l’abandon de l’euro créerait à court terme encore plus de remous que la cessation de paiement de l’Argentine. Mais un pays économiquement souverain a au moins la chance de pouvoir essayer de remettre les choses en ordre, tandis qu’un pays dépendant des choix macroéconomiques d’une autre nation ne peut qu’espérer qu’on lui fasse l’aumône.
Si en Espagne, et ailleurs, les gouvernements n’ont pas encore songé à la possibilité de quitter la zone euro, ils devraient peut-être y réfléchir…
Matthew Yglesias
Traduit par Yann Champion