Les Echos - 3 décembre 2012
Un excellent article d'un patron de société, qui met bien en évidence l'impasse où l'Euro nous conduit.
C'est semble-t-il, hélàs, difficile à accepter...
« Hollande devra choisir entre l'auto et l'euro »
Quel est selon vous l'état d'esprit des patrons français ?
C'est le désespoir. Ils sont sous une douche glaciale depuis mai. Et le filet d'eau tiède apparu avec le plan de compétitivité ne change rien : une série de décisions qui dépasse l'entendement les a anéantis.
C'est pire qu'en 1981 où l'économie était fermée. Aujourd'hui, même si cela ne date pas de l'arrivée de la gauche au pouvoir, notre politique fiscale est tragiquement non compétitive en économie ouverte. Nos hommes politiques n'ont pas compris que l'on peut très facilement s'installer ailleurs et y diriger ses affaires. En 1981, ceux qui partaient étaient de vieilles dames riches. En 2012, ce sont les forces vives et le mouvement, hélas, ne va pas s'arrêter. Les sièges ne déménageront pas immédiatement mais seront vidés de leur substance. Quel étranger s'installera en France dans ces conditions ? Nos politiques ne comprennent pas que, pour les grandes entreprises, la France ne compte plus guère : leurs clients, leurs actionnaires, leurs financements sont pour l'essentiel à l'étranger. Sauf retour à la compétitivité fiscale, Paris deviendra Venise : touristes, bas salaires et bateaux-mouches.
Qu'entendez-vous par compétitif sur le plan fiscal ?
Dans les pays occidentaux, on ne dépasse en général pas un taux d'imposition, CSG comprise, de 40 % pour les ménages (alors que nous sommes à 54 % pour les revenus du travail - qui ont déjà supporté des cotisations sociales extravagantes - et à 62 % pour ceux du capital !) et la taxation des plus-values ne devrait pas excéder 25 %, CSG comprise - on en est très loin. La volonté d'aligner la taxation du capital sur celle du travail est par ailleurs dévastatrice en termes d'attractivité, de même que l'impôt sur la fortune confiscatoire et unique au monde qui doit être supprimé.
Pour vous, droite et gauche sont responsables ?
La situation fiscale laissée par la droite n'était déjà pas brillante. La gauche a tragiquement aggravé les choses. C'est notamment parce que la classe politique et administrative n'a pas digéré le creusement de l'écart de revenus entre elle et le patronat salarié. Autrefois, entre celle-ci et un grand patron salarié, cet écart était de 1 à 3 pour 1 à 30 aujourd'hui (alors même que la France n'est pas alignée sur les plus hauts salaires internationaux des patrons). D'où un regard mêlant envie et haine. La taxation à 75 % est une vengeance. Déjà, Fillon avait massacré les retraites chapeaux en les taxant à 72 % ! Je déplore que la représentation patronale soit si molle : le Medef de Seillière-Kessler était intelligent et hyper combatif, ce qui n'est pas le cas de celui de Laurence Parisot qui collabore avec le pouvoir au lieu de le combattre.
Il y a un sujet sur lequel la très grande majorité des politiques et du patronat se retrouve, c'est la défense de l'euro…
Oui, car beaucoup n'osent pas dire ce qu'ils pensent ! Le franc fort et l'euro ont détruit des millions d'emplois dans notre pays. D'abord parce que l'euro a été et reste surévalué : l'exemple des composants pour l'aéronautique est frappant : on a dû trop déplacer la production en zone dollar. Ensuite et surtout parce que nous ne pouvons pas dévaluer par rapport aux Allemands. Or notre perte de compétitivité vis-à-vis d'eux est tragique. Quelle que soit l'ambition des réformes qui s'imposent, elles ne suffiront pas en l'absence d'une dévaluation. Et elles arriveront trop tard. Nos usines auront fermé. Ainsi, notre industrie automobile a commencé à mourir (passant de plus de 3 millions de véhicules produits en 2000 à probablement moins de 1,9 million cette année…). Dans dix ans, si l'euro demeurait, nous ne produirions plus de voitures en France. François Hollande va devoir choisir entre l'euro et l'auto ! L'euro finira par tuer le projet européen.
Il y a plus d'experts pour penser que la fin de l'euro serait une catastrophe économique que l'inverse.
La catastrophe économique est déjà là ! L'économie du pays s'effondre. Des régions entières vivent désormais de transferts sociaux. L'emploi privé disparaît. Promenez-vous, comme moi il y a quelques semaines, à Saint-Dié-des-Vosges, et vous croiserez, dans des rues aux nombreux magasins fermés, une misère humaine que l'on croirait tout droit sortie d'un film de Ken Loach dans l'Angleterre thatchérienne. Voilà ce que va devenir l'essentiel de la France si nous continuons dans cette voie. Le détonateur de la fin de l'euro viendra soit d'une révolte - qui s'impose - dans un grand pays comme l'Espagne, soit de la faillite annoncée de notre industrie automobile.
Pour vous, l'euro ne peut être sauvé ?
J'espère d'abord qu'il ne le sera pas ! Et je suis convaincu qu'il ne pourra l'être. Même ses zélateurs reconnaissent que l'euro ne marche pas. Pour le sauver, ils suggèrent deux choses. En premier lieu, la « désinflation compétitive » qui cache en réalité une violente baisse des salaires réels. Les habitants des pays concernés perdent leur travail et leur logement, sans pour autant que leurs pays retrouvent rapidement leur compétitivité, à la différence d'une dévaluation. Regardez l'Europe du Sud. Ses économies s'écroulent et les déficits s'aggravent, car les PIB baissent. En second lieu, le fédéralisme sauverait l'euro. Or il n'aboutirait au mieux qu'à mal compenser par des transferts la ruine créée par l'absence de compétitivité relative de beaucoup de pays vis-à-vis de la zone rhénane. On aura détruit des économies entières.
La seule alternative à cette « euroruine » réside dans une disparition rapide et maîtrisée de l'euro. En un week-end. Cela ne fera pas exploser le coût de la dette pour notre pays. La France, pas plus que l'Italie, ne ferait bien sûr défaut sur leur dette. Nous passerions d'un euro valant entre 1,25-1,30 dollar à un « nouveau nouveau franc » à 1,05-1,15 dollar. Seulement un léger surcoût sur notre dette. Quant à la Grèce, au Portugal et, dans une large mesure, à l'Espagne, ils sont déjà pratiquement en défaut. La fin de l'euro rebattrait massivement les cartes de la compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne pour notre pays et l'Europe du Sud. C'est la seule manière de faire repartir la croissance.
Votre tableau de l'économie française est très noir. Où sont les capacités de rebond ?
D'abord dans la disparition de l'euro, c'est un préalable. Ensuite dans d'immenses réformes structurelles qui, après vingt-six ans de léthargie Mitterrand-Chirac, n'ont pu être que courageusement amorcées par Nicolas Sarkozy, faute de temps. Nous devons aussi supprimer les 35 heures et ne pas décourager les heures supplémentaires comme le gouvernement vient tristement de le faire à l'encontre des salariés les plus modestes.
Nous avons également un avantage compétitif dans l'énergie que nos politiques ont entrepris de détruire. Parce qu'ils sont, à gauche comme à droite, sous le chantage d'une minorité qui ne représente rien aux élections et qui réussit à imposer ses vues, les écologistes. Nous devons d'abord protéger et développer notre nucléaire, le meilleur fer de lance de notre indépendance énergétique. Espérons qu'une fois débarrassé des écologistes, le président renonce à fermer Fessenheim. Nous devons ensuite explorer nos immenses ressources en gaz de schiste. C'est Nathalie Kosciusco-Morizet - et on ne le rappellera jamais assez - qui est à l'origine du blocage de l'exploration et le gouvernement s'inscrit hélas dans le droit fil de cet obscurantisme. A ce compte-là, nous n'aurions jamais vacciné personne ni exploité le charbon. Quant aux énergies renouvelables, elles sont à l'heure actuelle une immense fumisterie qui, comme on commence à le voir en Allemagne, va coûter très cher tant aux ménages qu'à l'industrie. Au gouvernement, seul Arnaud Montebourg le comprend.
Autre levier : les dépenses publiques. L'Etat et les collectivités locales dépensent follement. Un exemple révélateur de l'incurie publique : la construction à la Cité de la musique d'une salle de concert pharaonique, caprice d'un vieux compositeur français en exil et dont tous les professionnels savent qu'elle est trop grande, inutile, inaccessible au public faute de transports et dont le coût de construction finira par coûter le triple du budget initial… Au même endroit, de nouveaux abattoirs de la Villette !
Je reconnais qu'il est difficile pour François Hollande de réformer le secteur public et de mettre au régime sec les collectivités locales : c'est son socle électoral. Il faudrait en quelque sorte qu'il le détruise pour faire entrer le pays dans une ère nouvelle… Je le respecte et je l'en espère capable.
Enfin, dernier levier, il faut retrouver ce qui a été longtemps l'une des grandes forces de la France, à savoir la fabrication des élites à travers la sélection républicaine, dont j'ai profité. La FEN a imposé le collège unique au Général de Gaulle, cassant ce magnifique mécanisme. Désormais, la reproduction des élites se fait trop par l'appartenance à un milieu social et non plus par l'intermédiaire d'un système éducatif sélectionnant les meilleurs. Ceci engendre un immense gâchis et un légitime sentiment de révolte. Mort au collège unique ! Et en plus l'insuffisance de l'apprentissage et de la formation en alternance nuit gravement à notre économie.
L'Europe est-elle bien armée dans le commerce avec les autres grandes zones économiques ?
Je voudrais d'abord redire que je suis profondément européen. Je suis partisan de la totale liberté de circulation des personnes et des biens à l'intérieur de l'Europe, qui devra être conservée après la disparition de l'euro. En revanche, je considère que la Commission européenne pratique un libre-échange idiot. Par exemple, en laissant l'industrie chinoise, subventionnée par son Etat, ruiner notre industrie solaire encouragée par l'Europe. De la même manière, la Commission s'accroche à des règles antitrust d'un autre âge en refusant la constitution de champions européens. Bruxelles doit faire son aggiornamento !
Nicolas Barré, Les Echos
Henri Gibier, Les Echos