Le Figaro 22/06/2011

Gérard Lafay, Jacques Sapir et Philippe Villin, respectivement professeur émérite à l'université de Paris Panthéon-Assas, directeur d'études à l'EHESS-Paris et président de Philippe Villin Conseil, les auteurs considèrent que la monnaie unique n'a plus d'avenir.

L' euro est en crise profonde. Un ou plusieurs pays vont faire défaut. Ceci ne nous étonne pas, et nous l'avions annoncé dès qu'il a été question de le créer. En effet, les pays de la zone euro ne constituent nullement une zone monétaire optimale. Les divergences affectant tant les taux de croissance, les rythmes d'inflation, la productivité du travail étaient trop importantes pour pouvoir s'accommoder d'une monnaie unique, sans intégration politique et fiscale, donc sans l'union de transferts honnie par les Allemands. Loin de provoquer la convergence espérée, la mise en place de l'euro a, au contraire, accentué le phénomène de divergence. En l'absence d'une possibilité de dévaluation, la correction des disparités sur la seule base de plans d'ajustements a condamné les pays déficitaires à une déflation impossible. Enfin, la gestion de l'euro selon Maastricht s'est traduite par sa surévaluation chronique.

 

Un bilan doit être tiré: l'euro s'est avéré désastreux pour les pays hors de la zone rhénane. La croissance des pays euro a été, en Europe, la plus faible de tous les pays développés. C'est d'abord parce que la surévaluation de l'euro, tragique depuis 2004, impose à nos économies de traîner un boulet de plus en plus lourd. Des milliers d'entreprises ont été ainsi conduites à délocaliser les emplois, voire contraintes à fermer. Loin de nous protéger de la crise, la zone euro l'a aggravée. Du fait des faibles rendements que pouvaient escompter les banques dans la zone euro, elles se sont gorgées des fameux «produits toxiques», et se sont engagées dans un soutien aux bulles immobilières. Enfin on a vu éclater le seul phénomène supposé positif que l'on pouvait associer à l'euro: la convergence des taux d'intérêt sur la dette publique. Aujourd'hui, l'éclatement de ces taux témoigne de la crise de l'euro, tout en étant son moteur, et les taux d'intérêt payés par les États asphyxient les économies de l'Europe du Sud.

Incapable de faire face à la crise

Il est désormais clair, aujourd'hui, que le Fonds européen de stabilisation financière sera incapable de faire face à la crise et qu'il éclatera dès que l'Espagne demandera à en bénéficier. Des restructurations se préparent. Elles auront lieu, mais elles ne suffiront pas à remettre en route les économies, faute d'être accompagnées par des dévaluations, comme la théorie et la pratique l'ont toujours démontré !

Il est temps pour les politiques européens d'affronter la réalité : l'euro est en train de mourir ; il faut l'achever rapidement pour sauver les Européens. Mais il convient de le faire tous ensemble pour éviter un «chacun pour soi» meurtrier.

Il serait alors judicieux de commencer par faire baisser l'euro par tout moyen, car plus il sera bas lors de l'éclatement, plus les dettes des États européens seront faibles le moment venu. Après son éclatement, les monnaies de la zone rhénane en sortiront fortement réévaluées, mais ce sera bien le prix légitime que ces économies auront à payer pour en avoir tant profité, sans avoir accepté une union politique et fiscale qui était intrinsèquement la contrepartie de cet avantage pour elles. Pour les pays d'Europe du Sud, les dévaluations adaptées, tant vis-à-vis de l'intérieur de ce qui fut la zone euro que vis-à-vis de l'extérieur, leur redonneront de l'oxygène tandis que le défaut de leur dette leur permettra de supporter le seul impact négatif de la sortie de l'euro, en en faisant payer le prix à leurs créanciers inconséquents.

Plus d'avenir

Pour la France, les bénéfices d'une sortie seront immenses. Les élasticités aux prix des importations et des exportations nous sont favorables. Certes, la dette publique détenue par les non-résidents (67% du total) sera réévaluée au prorata de la dévaluation. Mais le total n'en sera augmenté que de 12% dans le cas d'une dévaluation de 20% (coût qui serait d'autant plus faible que l'euro aurait baissé avant son éclatement).

Aujourd'hui, le taux de change de l'euro nous coûte environ 2% de croissance. Imaginons ce que représenterait pour notre économie une croissance de 3,5% au lieu des 1,5% réalisés l'an dernier ! Imaginons ce que cette croissance représenterait en emplois nouveaux par rapport aux jeunes qui attendent désespérément un travail! Imaginons aussi comment le problème de notre dette serait dédramatisé avec une telle croissance! Mais imaginons aussi - à l'inverse - les conséquences de l'ajustement budgétaire actuel imposé par le maintien de l'euro et qui se cumulera avec les ajustements réalisés dans les pays voisins, avec tous ses effets déflationnistes… C'est de ce cauchemar que nous ne voulons pas.

L'euro, dans sa forme actuelle, n'a plus d'avenir. Abandonnons-le vite pour sauver les Européens. On redonnera ainsi aux millions de Français et d'Européens que la politique actuelle condamne à la misère, l'espoir d'une vie meilleure.

La fin de l'euro permettra aussi de repenser la coordination monétaire entre États. Sur les ruines de la monnaie unique, il sera possible de concevoir et de mettre en application une monnaie commune qui permettra aux pays en ayant besoin de dévaluer, mais qui constituera un rempart important contre les désordres de la finance mondiale. C'est la voie de la raison et du bon sens.