Eolien : les leçons britanniques

eolipublié le 28/04/2011 dans le journal "Les Echos"


Trois documents publiés récemment au Royaume-Uni font le point des performances de la génération éolienne d'électricité et de ce qui peut être attendu d'une poursuite de la politique actuelle de "tout éolien" dans ce pays et plus généralement en Europe : est-ce bien l'avenir ?

  Au moment où le syndicat français des énergies renouvelables se plaint urbi et orbi de ce que les programmes du Grenelle sont en retard, plusieurs études récentes de consultants et ONG environnementaux montrent la réalité du fonctionnement de l’éolien britannique et fournissent certaines des clefs qui permettent d’anticiper le futur du modèle électrique européen.

Cinq hypothèses fausses pour l’éolien

Première étude, celle publiée fin mars dernier par la firme Stuart Young Consulting, avec le soutien de l’ONG environnementale écossaise John Muir Trust. Elle analyse de novembre 2008 à décembre 2010 les performances de la production éolienne d’électricité raccordée directement au réseau électrique britannique, le National Grid. Ce dernier n’a connaissance que de la moitié environ de la production britannique éolienne, l’autre moitié n’étant pas raccordée directement à un point de son réseau. La production connue par le National Grid se limitait jusqu’en juillet 2010 à la plus grande part (80%) de l’éolien onshore écossais ; depuis juillet 2010, cinq fermes offshore anglaises se sont raccordées au National Grid.

L’étude Stuart Yong avait pour but de vérifier 5 hypothèses reconnues couramment comme « vraies » :

1. Les turbines éoliennes produisent en moyenne à hauteur de 30% de leur capacité

Faux ! La production n’a atteint que 27,18% de la capacité en 2009, et 21,14% en 2010

2. Le vent souffle toujours quelque part

Faux ! entre novembre 2008 et décembre 2010, la production éolienne a 124 fois atteint un point bas de 1% de la capacité, ce pendant cinq heures en moyenne ; 51 fois, le point bas de la production s’est établi à 0,5% de la capacité, pour plus de quatre heures en moyenne.

3. Les périodes de vent très bas sont peu fréquentes

Faux ! le niveau de 1% est atteint chaque semaine ; celui de 0,5% toutes les deux semaines.

4. La probabilité qu’une production éolienne très faible coïncide avec des pics de demande électrique est faible

Faux ! En 2010, les quatre pics de consommation électrique (janvier et décembre) ont coïncidé avec les productions éoliennes les plus faibles : entre 2,51% et 5,51% de la capacité éolienne installée.

5. Les centrales hydrauliques rechargeables par pompage peuvent combler le manque de production durant des périodes prolongées de vent faible

Faux, car plus de la moitié de la capacité de ces centrales dispose d’une durée réduite à 5 heures, et le reste à 22 heures. Plus important encore, ces centrales sont utilisées quotidiennement pour équilibrer le réseau, notamment lors des pointes : elles ne peuvent remplir deux fonctions à la fois ! Si plusieurs projets de telles centrales sont en cours d’étude, c’est à des fins de couverture des pointes de consommation, pas de relais des accès de faiblesse de l’éolien.

Aucun barrage n’est à l’étude au Royaume-Uni pour « stocker » l’électricité éolienne : ce n’est que sur les brochures et dans les manuels des tenants des énergies renouvelables qu’il suffit d’associer quelques retenues d’eau (équipées de turbines et d’installations de pompage) aux parcs éoliens pour mettre fin à l’intermittence de l’éolien. Mais cela reste du domaine de l’idéel virtuel, fût-il imputable à McKay, le conseiller scientifique du ministère britannique de l’énergie et du changement climatique.

Un développement éolien à grands frais et en grand retard

Début avril, une étude de la Renewable Energy Foundation vient confirmer les résultats précédents quant à la production effective de 2008 et 2009 ; la baisse a été sensiblement équivalente dans chaque composante du Royaume : Angleterre, Pays de Galles, Ecosse et Irlande du Nord ; elle précise que la production offshore n’a baissé que de 30 à 29% de la capacité. Elle souligne que l’incertitude sur la production effective va rendre plus coûteux le financement des nouvelles fermes, et qu’un nombre très élevé de projets ayant obtenu toutes les autorisations sont en stand by, sans doute en attente de connexion au réseau ou de financement.

L’étude souligne également que la production issue de centrales hydrauliques est nettement corrélée – sur la période 2002-2010 - avec la production éolienne, ce qui démontre une absence de complémentarité sur longue période.

En tout cas, le Royaume-Uni a manqué de plus d’un tiers son objectif intermédiaire de 10% d’électricité renouvelable en 2010, la production effective s’étant établi à 6,5% du total, dont 40% pour l’éolien (soit 2,6% de la consommation électrique). L’étude rappelle que les énergies renouvelables ont perçu £ 5 milliards de subventions entre 2002 et 2010, dont 1,1 milliard en 2010. L’objectif de 30% d’électricité renouvelable à l’horizon en 2020 est considéré irréaliste. La fondation recommande de concentrer l’effort sur les énergies nécessitant le moins de subventions (en pratique, tout sauf l’éolien, le solaire n’existant pas au UK ?).

Vers des réseaux électriques capricieux dans toute l’Europe ?

Pöyry Management Consulting a élargi la problématique britannique à une large part de l’Europe dans son étude « les défis de l’intermittence dans les marchés électriques de l’Europe du Nord-Ouest » publiée le 30 mars. La principale conclusion est que la production électrique va devenir extrêmement variable (capricieuse ?) en fonction de la météo (le vent en hiver, et le soleil en été), sans effet suffisant d’amortissement des variations locales, car la taille des phénomènes météo (1500 KM de diamètre pour un anticyclone par exemple) entraîne couramment une situation similaire sur l’ensemble de la zone. Le marché pourrait évoluer vers une combinaison comprenant plus de périodes à prix très bas (base nucléaire et éolien) et beaucoup plus de périodes à prix très élevé, sans prévisibilité autre que météorologique. La prépondérance accordée à l’éolien (et au solaire) dans les nouvelles capacités électriques constitue un choix pour plus de volatilité, et des niveaux de prix ponctuels dépendant essentiellement de la météo.

Avec la croissance de la production éolienne, et la priorité qui lui est accordée, Pöyry souligne que les sources thermiques d’électricité deviendront intermittentes, ce qui rend toute équation de rentabilité de plus en plus compliquée à établir, et obère toute décision d’investissement. Un renforcement majeur du réseau d’interconnections transnationales n’aurait pas forcément d’effet majeur sur la variabilité des prix, sauf peut être dans les pays nordiques, où une part plus grande de l’électricité hydraulique pourrait être exportée en Europe centrale, d’où une hausse pour les consommateurs locaux. L’étude propose que les capacités thermiques soient facturées en partie aux opérateurs sur la base de la capacité disponible, et non de leur seule production effective.

Dernière remarque de Pöyry, la flexibilité de la demande sera une variable clef de l’équilibre futur, mais dans ce domaine rien de concret n’apparaît réellement en termes de modes de consommation ou de technologies, et le déploiement de ces dernières risque d’aller lentement.

Marque de progrès en Europe : consommer l’électricité quand elle est disponible, et non quand la population en a besoin ?

Steve Holliday, le directeur général de National Grid, a partagé le 1er mars dernier sur Radio 4 sa vision de l’avenir électrique britannique : « Les jours de l’électricité disponible en permanence peuvent arriver à leur fin…Les familles devront s’habituer à utiliser le courant quand il est disponible et non en permanence…Nous aurons à changer notre propre comportement et à consommer le courant quand il est disponible, et disponible pas cher… Le gouvernement cherche à ce que les communautés et les individus prennent le courant entre leurs mains…En tant que société nous avons tous à être clairs sur ce que nous pouvons, et ne pouvons pas, nous permettre. » Est-ce la fin de la continuité d’alimentation ? Un appel à chacun à se doter de générateurs, ou de batteries, pour suppléer le réseau national ou profiter des sauts de production électrique ? L’avenir est-il que les entreprises et les ménages mènent leurs activités quand le vent souffle, plutôt qu’aux heures ouvrables des jours de semaine ?

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